dimanche 13 mai 2012

Ainsi parlait Saurischia – Prologue


            L'intelligence. C'est une faculté assez impressionnante, nous permettant de remettre en question les diktats de nos pulsions primitives et de réagir aux situations que la vie nous envoie d'une manière plus flexible et adaptée. On peut, grâce à elle, fabriquer des outils qui remplacent les organes qu'ont les autres animaux. Les armes remplacent les griffes, les ustensiles les dents. Les vêtements remplacent la fourrure, les chaussures nous servent de sabots. Toutes les impressionnantes facultés que l'on retrouve dans le règne animal sont surpassées par leurs homologues de notre technologie humaine.
            Avec son incroyable potentiel et sa valeur évolutive, il est surprenant que l'intelligence ne se soit pas répandue davantage au sein du règne animal. Il est vrai que nos cousins mammifères possèdent eux aussi cette faculté; à un certain degré. C'est particulièrement vrai chez nos frères les primates ou chez des êtres un peu plus éloignés de nous comme les cétacés. L'intelligence peut même apparaître chez des animaux très éloignés de nous, comme les pieuvres qui portent très bien leur nom scientifique de « céphalopodes », c'est-à-dire « cerveaux avec des pattes ». Mais, jusqu'à preuve du contraire, aucune autre espèce dans l'histoire de la vie n'a atteint le sommet intellectuel où l'humanité a planté son drapeau… Mais en est-on vraiment si sûrs?
            Notre forte intelligence – et notre faible sagesse – nous a permis de nous répandre partout à la surface de cette planète. De développer des technologies qui, pour des peuples de la Préhistoire, sembleraient magiques ou divines. Nous pouvons construire des bâtiments plus hauts que les montagnes. Nous déplacer de par le monde plus rapidement en franchissant tous les obstacles. Communiquer instantanément avec n'importe lequel de nos congénères, où  qu'il soit sur Terre. Nous avons la lumière la nuit, la chaleur l'hiver. Nous pouvons voler plus haut que n'importe quel oiseaux tout comme descendre plus profondément dans l'océan que n'importe quel poisson des abysses. Nous vivons plus vieux que tous les animaux sur Terre (exception faite, peut-être, de certains spécimens de tortues) et les maladies qui décimaient nos ancêtres sont désormais bénignes. Nous contrôlons le feu, l'eau, l'air et la terre. Bientôt, grâce aux technologies émergentes, nous pourrons encore monter d'un échelon. Lorsque les ordinateurs quantiques, les supraconducteurs et les cellules souches seront accessibles à tous, le plus puissants des ordinateurs actuels passera pour un abaque de l'Antiquité. Nous vaincrons peut-être définitivement nos plus vieux ennemis comme la mort et la nature. Nous serons, littéralement, devenus des dieux.
            Dans la mythologie mésoaméricaine, le passage du temps est perçu comme quelque chose de cyclique. Se succèdent différentes « Créations » ponctués par des destructions globales. Nous sommes, selon les anciens Aztèques, dans la sixième création. La science nous a permis de découvrir que cette vision catastrophiste du monde n'était peut-être pas totalement erronée. On a, en effet, recensé dans l'histoire plusieurs grandes extinctions d'espèces. Il y en eut cinq en tout. La dernière, celle qui causa l'extinction des dinosaures, extermina plus de 90% des espèces vivantes de l'époque. Avec la disparition de ces géants, nos ancêtres d'alors – de petits mammifères nocturnes et fouisseurs, semblables à des rats, se nourrissant principalement d'insectes, de vers et de charogne – purent sortir de l'ombre, se multiplier sur toute la surface de la Terre et évoluer pour donner naissance à des espèces aussi variés que l'humain, le cheval, le kangourou, le loup, le lièvre, le dauphin et la chauve-souris.
            Je pense que ce qui nous distingue des autres mammifères n'est pas tant notre intelligence que notre faculté à communiquer des informations complexes. On a d'abord acquis la parole, ensuite l'écriture, l'imprimerie puis les télécommunications. Imaginons un hamster qui, grâce à une mutation incroyable, serait aussi génial que Léonard de Vinci ou qu'Einstein. S'il découvrait l'agriculture ou la bombe atomique, il n'aurait aucune manière de transmettre ce savoir à ses pairs. Sa découverte mourra avec lui. Tandis qu'un humain moderne peut, en moins de quelques heures seulement, transmettre une joke cochonne à toute la planète. Individuellement, l'humain n'est pas tellement plus intelligent que le chimpanzé. Nous bénéficions simplement du cumul des intelligences de tous les humains qui nous ont précédés. Tant qu'il y aura des humains en ce monde, notre intelligence collective sera immortelle.
            Si un autre cataclysme planétaire survient, on pourra très certainement ajouter « Homo Sapiens » au bas de la liste des espèces disparues. Le cycle recommencera. Quelques modestes espèces de notre époque survivront à ce cataclysme – sûrement des espèces très répandues et qui s'adaptent facilement à tous les milieux, comme les rats, les pigeons et les blattes – et engendreront, éventuellement, une biodiversité assez large pour combler toutes les niches écologiques. Qui sait, peut-être une autre espèce intelligente viendra-t-elle au monde des millions d'années plus tard? Et si, comme nous, ces êtres intelligents s'intéressent au passé. S'ils font des fouilles et exhument quelques vestiges de notre époque, comme nous le faisons en déterrant les ossements des sauriens du Mésozoïque, réussiraient-ils à se représenter correctement notre époque? Sauront-ils seulement que nous étions des êtres intelligents? L'acier et le béton finissent par se désagréger lorsqu'ils ne sont pas entretenus. Même le plastique, que l'on considère comme non-biodégradable, finit par se dissoudre dans la nature. Si toutes les preuves matérielles de notre civilisation sont réduites en poussière, quels indices attesteront de son existence dans quelques dizaines de millions d'années?
            Alors qui nous dit que cela ne s'est pas déjà produit? Peut-être qu'une civilisation d'êtres intellectuellement comparables aux humains était en place à la fin du Crétacé et qu'elle fut annihilée par la catastrophe qui tua tous les dinosaures il y a de cela soixante-cinq millions d'années. Supposons que cette espèce disparue avait atteint un niveau scientifique supérieur au nôtre. Imaginons que, peu avant que leur race ne s'éteigne, certains membres de cette civilisation hypothétique aient réussi à dépasser le seuil technologique séparant les mortels des dieux… Quel genre d'empreintes auraient-ils laissés dans l'histoire du monde qui seraient encore perceptibles aujourd'hui?


1 commentaire:

  1. Je me suis inspiré de divers livres ésotériques que j'ai à la librairie où je travaille. Des livres à propos d'une révélation, écrits comme un dialogue entre l'auteur et un être surnaturel (Dieu, un ange, un extraterrestre, l'âme de son enfant décédé, l'esprit d'un maître ascensionné de niveau 7 avec une épée +1). L'auteur est alors comme un élève qui apprend de la part de ce maître surnaturel.

    L'histoire que je voulais écrire ici aurait été une sorte de parodie de ce genre littéraire. Il s'agit d'une suite de dialogues entre un jeune de seize ans et un dinosaure intelligent issu d'une ancienne civilisation technologiquement très avancée qui serait disparue il y a 65 millions d'années. Le personnage du dinosaure défend donc mes valeurs et le jeune représentera une personne occidentale standard. J'introduirais le plus possible des situations pour dénigrer les croyances ésotériques qui sont traditionnellement prônés par ce type de récit. Parallèlement, je voulais aussi que le récit comprenne des genres de «preuves» que cette histoire est vraie et que les dinosaures intelligents ont existés, en utilisant des arguments de type néo-évhéméristes.

    Je pensais terminer l'histoire par une mise en abyme, comme si l'auteur était ce jeune de seize ans devenu adulte, en faisant dire à son personnage qu'il veut écrire un livre à propos de ses rencontres avec le dinosaure. Mais, je voulais lui faire dire aussi que ce serait parfaitement stupide pour le lecteur de croire à son récit, puisqu'il n'a aucune preuve scientifique de ça.

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